Comment universitaires et enseignants adventistes du septième jour devraient-ils présenter les événements historiques d’une période de guerre, de violence et de cruauté au nom de la religion – nous pensons aux guerres de religion en France – quand la majorité des violences et des méchancetés semble venir d’un seul côté ?  Comment pouvons-nous rendre justice à la réalité historique sans donner l'impression de perpétuer un récit protestant triomphaliste et polémique de l'histoire ? Pouvons-nous faire preuve d’objectivité devant nos étudiants tout en honorant l'esprit des réformateurs ?

L’enseignement de la Réforme est problématique

Les professeurs d’histoire adventistes du septième jour ont un problème quand il s’agit d’enseigner la Réforme. Nous sommes membres d’une dénomination qui, dès ses origines nord-américaines du milieu du 19e siècle, s’est toujours méfiée de l’Église catholique en général, quand elle ne lui était pas carrément hostile. Plus précisément, notre vision des réformateurs du 16e siècle et de l’époque qui porte leur nom a eu tendance à être essentiellement celle de l'historiographie protestante traditionnelle1. Quand il s’agit de l’histoire de ces événements, nous sommes confessionnellement partisans.

Pourtant la discipline de l’histoire, peut-être plus que toutes les autres sciences humaines, exige objectivité et distanciation de la part des enseignants par rapport à leurs propres hypothèses sur leur sujet. En littérature anglaise, selon sa pratique actuelle, il est tout à fait légitime de lire un texte à partir de points de vue différents ou de lui prêter de multiples interprétations. En anthropologie, le concept de distanciation entre le chercheur et son sujet est de plus en plus perçu comme un legs de l’impérialisme, et le nouveau nom d’ordre est la réflexivité, c’est-à-dire l’effet d'un groupe de sujets sur un chercheur qui devient véritablement membre de ce groupe.

Par contre, en histoire, l’objectivité est encore essentielle. Cela ne veut pas dire que les historiens s’imaginent qu’ils abordent un sujet sans idées préconçues mais plutôt que les historiens doivent faire tout en leur pouvoir pour mettre de côté ces idées préconçues et être objectifs.  Cela n’est pas seulement un problème pour les historiens adventistes qui publient activement. L’objectivité et le détachement universitaire sont si intrinsèques à cette discipline que les enseignants aussi cherchent inévitablement à les modéliser en classe – sinon ils n’enseignent pas la véritable histoire.

L‘objectivité pose un problème particulier quand un enseignant ou un chercheur adventiste aborde les guerres de religion européennes. Ces guerres ont éclaté après la Réforme et ont fait rage en gros du début du milieu du 16e siècle à la fin du milieu du 17e siècle. Ces enseignants sont confrontés à un ensemble d’atrocités toutes perpétrées au nom du christianisme, la majeure partie des meurtres et des mutilations ayant été commis par les partisans de l’Église de Rome. Y a -t-il un moyen d’être également fidèles à notre discipline, aux preuves et à notre foi ?

Je crois que ce moyen existe, c’est la raison de cet article qui explore une approche en prenant pour exemple les guerres de religion en France (1562-1598). Mon approche sur comment ces dernières peuvent être enseignées s’appuie non seulement sur les preuves historiques mais aussi sur une honnête reconnaissance de ma propre éducation et des préjugés qui en découlent2.

Mon approche reflète également ma croyance que ni les adventistes du septième jour en particulier ni les protestants en général ont un monopole exclusif sur une relation avec Dieu. Et bien qu’une partie intégrante de la vie d'un adventiste du septième jour soit de reconnaître que Dieu nous a révélé des vérités que les membres des autres dénominations chrétiennes ignorent, il reste clair que nous n’avons pas encore une compréhension complète de la vérité divine non plus. Il s’ensuit que lorsque nous sommes en classe, il est déplacé d’enseigner un récit triomphaliste ou hostile sur n’importe quelle tradition chrétienne. Nous devons reconnaître que Dieu a été honoré par (et qu’ultimement il honorera) des gens de toutes les dénominations3.

Cette approche nous permet d'honorer à la fois les normes professionnelles (en enseignant et en publiant une histoire objective) et les normes chrétiennes.  Les unes et les autres peuvent être complémentaires plutôt que contradictoires même quand on considère la Réforme ou les guerres de religion.

Mes propres idées préconçues

C’est petit garçon que j’ai fait ma première rencontre avec les guerres de religion en France, et ma vision a été façonnée par deux influences formatrices similaires mais différentes. Mon père était un pasteur adventiste du septième jour de deuxième génération. Les livres que j’ai dévorés enfant et adolescent énonçaient très clairement que les protestants étaient les bons gars et les catholiques les mauvais gars. Mais il y a eu une influence supplémentaire et spécifique sur ma façon de penser la Réforme en France – une influence, j’en suis sûr, que je partage avec de nombreux autres enseignants des écoles secondaires et des universités de premier cycle.

Walter C. Utt, éminent historien de longue date du Pacific Union College, n’a pas transposé ses recherches minutieuses sur les huguenots sous le règne de Louis XIV en monographies savantes ; il a plutôt écrit deux romans historiques très précis pour adolescents et enfants plus âgés qui captaient de manière frappante le monde réformé français du milieu à la fin des années 1680, date à laquelle la liberté religieuse en France a été éradiquée. Ces livres étaient très populaires. J’ai grandi en les lisant et, très jeune, je connaissais déjà ce qu’avait été la révocation de l’Édit de Nantes.  

Les romans de Utt se déroulaient des décennies après les guerres de religion, mais à cause de leur contenu, mon imagination enfantine avait été captivée par l’héroïsme et le drame des batailles huguenotes. Mes sympathies furent aussi conquises par le fait que le bon côté gagnait toujours. Ainsi, instinctivement j’ai identifié les huguenots comme étant doublement les « bons gars ». Quand pour la première fois, j’ai lu que la cavalerie du Prince de Condé à la bataille de Dreux (1562) était pour la plupart entièrement vêtue de blanc (probablement en soutane par-dessus leur armure complète), cela m’a semblé tout à fait approprié. Utt a sans aucun doute influencé la façon dont j’entrevoyais cette ancienne période.

J’ai grandi et j’ai étudié l'histoire du début de la modernité puis j’ai fait des recherches sur les guerres de religion en France pour mon doctorat. Et bien sûr, j’ai découvert que les campagnes de guerre étaient remplies d’actes sanglants, de lâcheté, de cruauté et de brutalité et qu’à côté de la guerre officielle, une violence communale, informelle était endémique, et là, la brutalité et la cruauté étaient encore plus courantes. Ainsi jusqu’à quel point les influences de ma jeunesse m’affectent-elles encore ? Dans une certaine mesure, cela n'a pas d'importance. Les historiens de la période de la Réforme ont eu tendance à adopter des positions confessionnelles claires et pour autant qu’ils le reconnaissent (et le permettent) cela n’a pas rendu leur travail moins crédible ou moins historiquement respectable. De toute façon, très peu d’historiens chrétiens modernes, en dépit de leurs influences formatives ou de leurs préjugés instinctifs, reportent les inimitiés confessionnelles historiques qu’ils étudient jusqu’à nos jours ou dans leur vie personnelle.

Si la plupart des adventistes du septième jour, comme moi, sont encore en train d’applaudir (quelque part dans leur esprit) les réformateurs et leurs adeptes à la lecture des récits historiques des 16e et 17e siècles, il se pourrait que beaucoup d’entre nous aimeraient une réconciliation avec les catholiques romains, à un niveau personnel, bien que non au niveau théologique, ecclésiologique et institutionnel. Ainsi, ceux qui pratiquent la discipline de l’histoire, que ce soit au niveau secondaire ou collégial, sont bien conscients de l’impératif professionnel d’être objectifs.

Il y a donc de nombreux facteurs qui poussent les historiens chrétiens de la Réforme en Europe à chercher à se distancer du peuple qu’ils étudient. Cependant, les guerres de religion en France posent un problème particulier aux historiens protestants car dans leurs études des guerres de religion, le fait historique et le préjugé personnel semblent coïncider.

Persécution et répression des catholiques

Lors de l'examen du dossier de la violence religieuse dans la France de la fin du 16e siècle, la culpabilité semble reposer en grande partie du côté des catholiques romains.

Dans les années 1540, il y a eu des exécutions massives de protestants dans de nombreuses villes françaises. Bien qu'il se soit agi de procédures quasi-judiciaires contre des personnes condamnées pour hérésie, elles sont frappantes en raison du nombre de personnes tuées. Puis elles ont été suivies par des actes moins formels et plus massifs de brutalité. Par exemple, en 1561, quand des hérétiques condamnés ont été relâchés par décret royal dans le cadre d'une tentative éphémère d’arriver à un compromis, dans la ville Marsillargues, une foule de catholiques les a encerclés puis « exécutés et brûlés dans les rues »4.

Puis en 1562, la première guerre de religion a été déclenchée par le massacre d’une congrégation entière huguenote qui adorait dans une grange en dehors de la petite ville de Vassy. Cela a été le premier de nombreux autres massacres dont le massacre du jour de la St-Barthélemy à Paris, le 24 août 1572, n’est que le mieux connu et le plus horrible. En moins de vingt-quatre heures, quelque 3000 huguenots, femmes, enfants et vieillards compris, ont été assassinés. (Fait pour lequel, lors de sa visite à Paris, en août 1997, le pape Jean Paul II a soigneusement évité de s’excuser alors que de manière provocante, il a célébré une messe publique le jour même de la St-Barthélemy.)

Dans les semaines qui ont suivi le massacre à Paris, entre 2000 et 5000 huguenots de plus ont été tués dans l’ensemble de la France au fur et à mesure que la nouvelle du massacre arrivait dans les villes des provinces. Cela a déclenché des massacres d’imitation des populations protestantes locales. À Bordeaux, les tueries sont survenues après qu’un Jésuite ait prêché un sermon « sur comment l’Ange de l’Éternel avait déjà exécuté le jugement à Paris, Orléans et ailleurs, et le ferait pareillement à Bordeaux »5.

Par contre, ailleurs les massacres n’ont pas toujours été commis dans le feu de la ferveur religieuse – le degré de préméditation fait parfois froid dans le dos. Par exemple, à Rouen, il y avait beaucoup de huguenots en prison, et des fanatiques catholiques ont fait irruption dans la prison « et les ont systématiquement massacrés »6. À Lyon, les principaux tueurs catholiques ont exposé publiquement les vêtements ensanglantés dans les rues avec vantardise plutôt que regret.

Là où les catholiques n’avaient pas le nombre ou l’assurance de faire passer tous leurs rivaux de confession au fil de l’épée, ils ont utilisé d’autres tactiques. Ainsi à Sens en 1562, une foule, issue de la ville et des villages voisins, a confronté des calvinistes à la sortie de l’église et les a engagés dans « une bataille sanglante »7. À Lyon, la même année, des garçons catholiques ont lapidé des adorateurs protestants en route pour leur service religieux. À Pamiers en 1566, une société de jeunesse effectuant un rituel en honneur de la Pentecôte a pénétré dans le quartier calviniste alors que le pasteur local prêchait, puis elle a commencé à chanter « tuez, tuez8 ». « Un combat sérieux a commencé qui devait durer trois jours9. »

La violence a même débordé dans les expéditions organisées des guerres civiles dans lesquelles, en théorie, la règle de la guerre aurait dû s’appliquer. Mais Louis Ier de Bourbon, prince de Condé, chef de la cause huguenote jusqu’en 1569, a été assassiné alors qu’il tentait de se rendre après avoir été désarçonné lors de la bataille de Jarnac en mars 1569. Les généraux huguenots Montgomery et Briquemault se sont vu refuser les droits des prisonniers après leur capture en 1574. Ils ont été exécutés en étant brisés sur la roue – torturés à mort judiciairement10.

Comme l’a souligné l’éminente historienne Natalie Zemon Davis dans son importante étude de la violence religieuse dans les guerres de religion, la violence est allée au-delà de la tombe – non seulement les huguenots ont perdu leur vie, mais leurs corps ont aussi été profanés. En Normandie et en Provence, « des feuilles de Bibles protestantes étaient fourrées dans la bouche et les blessures des corps »11.  En 1568, quand la nouvelle s’est répandue qu’un huguenot était sur le point d’être enterré dans un cimetière consacré, « une bande s’est précipitée au cimetière, a interrompu le service et a traîné le corps jusqu’au… dépotoir de la ville »12.

Le corps mort de l’amiral de Coligny, le célèbre chef huguenot – son meurtre a été l’une des premières opérations du massacre de la St-Barthélemy – a été mutilé, lapidé et pendu à un gibet avant d’être finalement brûlé. À Provins en 1572, un corps huguenot a eu des cordes liées autour du cou et des pieds pour devenir le sujet d'une compétition de tir à la corde entre des garçons de la ville avant qu’ils ne le traînent pour être brûlé13.

Ailleurs, il était courant de jeter les corps huguenots dans les rivières ou de les brûler, mais aussi de s’en moquer et de les tourner en dérision alors qu’ils étaient traînés dans les rues vers leur destin, et fréquemment, « ils ont eu leurs organes génitaux et leurs organes internes coupés. »14.

Tout cela ce n’est pas seulement de la propagande ; ce sont des faits historiques bien documentés. Il est donc facile de dépeindre les catholiques dans les guerres de religion comme une force maligne – des oppresseurs et des persécuteurs dont les victimes étaient les calvinistes qui ont dû se défendre. Une interprétation confessionnellement partisane de la fin du 16e siècle semble conforme aux preuves.

Agression et intolérance des protestants

Voici donc l’énigme : comment rendre justice à la réalité historique des guerres de religion sans tomber dans l’un des deux pièges : d’un côté, perpétuer les clivages mêmes d’où est issu le brutal et sanglant conflit de la fin du 16e siècle en France – ce qui serait incompatible avec notre code moral personnel ; mais d’un autre côté, sembler simplement élever des opinions partisanes au rang de conclusions savantes – ce qui est professionnellement inacceptable. Comment les éducateurs adventistes doivent-ils enseigner cette période dans un esprit d'équité et d'ouverture d'esprit quand les pires excès ont été du côté des catholiques ?

Il est important de se rappeler que les huguenots n’étaient pas innocents – ils ont été un ingrédient actif dans la recette combustible qui a produit l’explosion de violence dans la France de la fin du 16e siècle. À Rouen, seulement en 1560 et 1561, « il y eut au moins neuf incidents décrits variablement dans les documents sous les termes de tumultes, émeutes et séditions… tous découlant d’actions des huguenots15 ». À Agen en 1561, des artisans protestants ont systématiquement détruit les autels et les statues dans les églises catholiques de la ville. À Lyon, un cordonnier calviniste a interrompu un sermon de Pâques que prêchait un moine franciscain, en s’écriant « Vous mentez » – une déclaration ponctuée par des coups de feu lancés par des huguenots attendant à l’extérieur sur la place16.

Dans toute la France, les protestants interrompaient fréquemment les messes ou les processions de la Fête-Dieu pour saisir l’hostie et l’émietter devant les catholiques indignés (ce qui, car ils croyaient qu’elle était véritablement le corps de Christ, était un horrible blasphème). Les protestants proclamaient que c’était « un dieu de pâte » ou « un dieu de farine » plutôt que le véritable corps de Christ17. Des schémas similaires se répétaient souvent : les processions catholiques étaient régulièrement arrosées de détritus ; elles étaient perturbées, tout comme les services religieux, par le chant des psaumes, des sifflements ou des slogans protestants chantés ; et fréquemment les églises étaient « purifiées » avec des objets offensants délibérément profanés par des crachats, de l’urine, des excréments avant d’être brisés. Des prêtres, des moines et des religieux ou des agents de la loi qui gardaient des protestants prisonniers ont souvent été battus ou tués, et, occasionnellement, même torturés à mort18.

Le problème n’est pas seulement ce que les huguenots ont fait ; c’est ce qu’ils n’ont pas fait. Ils ne voulaient pas accepter que les catholiques soient aussi des chrétiens sincères ne voulant faire de compromis sur aucun point. Le promoteur français du 16e siècle le plus influent de la tolérance envers les autres chrétiens a été un catholique, Michel de L’Hospital, chancelier de France dans les années 1560. Il en est venu à croire authentiquement et passionnément, que la tolérance était la chose juste à faire pour les disciples du Christ qui, comme l’a écrit de L’Hospital, « aimait la paix, et nous a donné l’ordre de nous abstenir de toute violence armée… ; qui n’a pas voulu forcer et terroriser qui que ce soit par des menaces, ni frapper avec une épée »19.

En fait, Calvin a condamné l’action violente des huguenots, les exhortant à ne pas résister mais à souffrir la persécution conformément au modèle du Nouveau Testament. Calvin demandait aux grands nobles, qu'il estimait avoir un devoir et une responsabilité dans la politique française, d'agir en faveur des églises réformées françaises. Mais Calvin a condamné pour ses opinions, Sebastian Castellio –le principal défenseur calviniste de la tolérance. Et les pasteurs dirigeants huguenots ont fait de même20.

À ce propos, la volonté d’Henri de Navarre de faire des compromis sur certains points afin de mettre fin au conflit a été un facteur important pour terminer les guerres, mais cela s’est fait au prix de la condamnation de nombreux huguenots, tant des dirigeants que de simples soldats. Certes, Henri a agi ainsi en partie pour se mettre en avant afin d'être le roi incontesté de France, ce qu'il est devenu sous le nom de Henri IV. Cependant, il voulait sincèrement mettre un terme à des décennies de conflits confessionnels, ce qui semblait impossible sans quelques compromis.

De nombreux huguenots ont estimé que Henri aurait dû plutôt avoir la foi en Dieu, et défier la logique humaine, ce qui aurait pu produire un miracle. Mon instinct personnel est de dire avec Pierre et les autres apôtres : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’à des humains (NBS)21. Pourtant au final, la disposition de Henri d’abjurer a été vitale pour arrêter la violence religieuse. Alors, quel plan d'action aurait été le plus en accord avec l’exemple de notre Seigneur ? La question est troublante.

La nature de la violence religieuse française du début de l'ère moderne

Rien de tout cela ne change le fait que les huguenots ont été beaucoup plus victimes que coupables dans la France du 16e siècle. L’intolérance de la majorité catholique a été le moteur qui a activé le conflit religieux en France22. Ainsi que l’a souligné Natalie Zemon Davis, il y a presque 30 ans, il y a eu une différence qualitative claire entre la violence des calvinistes et celle des catholiques23.

Les calvinistes voulaient changer l’esprit de la majorité de la population, ils ont alors détruit des objets sacrés pour montrer qu’en fait, ils n’étaient pas sacrés, et ils ont tué des prêtres parce qu’ils les percevaient comme égarant le peuple.  Par contre, les catholiques voulaient se débarrasser d’une grande partie de la population qu’ils considéraient être une souillure ou un cancer. C’est pourquoi quelque 3000 huguenots ont pu être tués en 24 heures, à Paris, les 24 et 25 août 1572. Il y a là un parallèle effrayant avec les près de 3000 personnes tuées en trois attaques le 11 septembre 2001 à New York – ces personnes qui avaient également une religion qui les mettait hors de portée des sympathies du nombre plutôt petit de leurs tueurs24 ! Pour les catholiques romains de France, les huguenots étaient le problème, et les tuer était le premier pas pour retrouver la faveur divine. En bref, alors que la violence catholique ciblait les gens, la violence calviniste a largement ciblé les choses. Par essence, cette dernière a ainsi été toujours plus limitée que la violence catholique.

Pourtant, les faits cruciaux sont que les calvinistes ont quand même commis des violences : ils ont assassiné des prêtres et ils ont été coupables d’intolérance et d’oppression.  Bien que la distinction entre les deux formes de violence soit importante, nous parlons ici, pour ainsi dire, du moindre de deux maux, et non d'un contraste entre le bien et le mal.

Conclusion

Une partie de moi tressaille quand je lis le récit de la bataille de Coutras par Agrippa d’Aubigné (l’éminent historien huguenot qui a relaté des événements auxquels il a participé)25.

Y a-t-il un élément fondamental au sujet des guerres de religion en France, que nous, en tant que chrétiens, devrions garder à l’esprit alors que nous faisons des recherches, élément sur lequel nous devrions attirer l’attention de nos étudiants alors que nous enseignons ? Ma suggestion est que protestants et catholiques ont, les uns et les autres, manqué d’honorer les normes élevées de notre Seigneur et Sauveur qui a déclaré : « Vous avez entendu qu’il a été dit (…) tu détesteras ton ennemi. Mais moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous persécutent27. » Mes échecs répétés à vivre à la hauteur de cet idéal devraient m’amener à être lent à condamner l’un ou l’autre camp comme étant moins chrétien que moi.  La bonne chose à faire, peut-être, comme chrétien et historien, est d’essayer de comprendre pourquoi tant de fervents croyants peuvent agir tellement contrairement aux désirs du Fondateur et du fondement du christianisme. Le résultat d’une telle approche sera une histoire sensible et objective qui produira une meilleure compréhension du passé. Je crois que ce sera aussi une histoire authentiquement chrétienne.

Cet article a été revu par des pairs.

D. J. B. Trim

D. J. B. Trim, Ph.D., FRhistS, est le directeur du Bureau des archives, des statistiques et de la recherche (ASTR) de la Conférence générale des adventistes du septième jour à Silver Spring, Maryland, États-Unis. Il est titulaire d'un B.A. (Newbold College, Bracknell, Angleterre) et d'un doctorat en histoire (King's College, Londres). Éducateur expérimenté, D. Trim a enseigné au Newbold College et au Pacific Union College où il était titulaire de la chaire d'histoire Walter C. Utt. Il a été élu membre de la Royal Historical Society, a été chercheur invité à la Huntington Library, à la Folger Shakespeare Library, à l'université de Californie à Berkeley, et à l'université de Reading au Royaume-Uni. Il est l'auteur de plus de 150 articles parus dans des revues, magazines et livres scientifiques et populaires, et a coédité plus de 10 livres.

Référence recommandée :

D. J. B. Trim, Les guerres de religion en France et le problème d’enseigner une histoire confessionnellement partisane, Revue d’éducation adventiste, n°60.

NOTES ET RÉFÉRENCES

  1. Voir Reinder Bruinsma, Seventh-day Adventist Attitudes Toward Roman Catholicism 1844-1965 (Berrien Springs, Mich.: Andrews University Press, 1994).
  2. Cet article s'appuie sur une exploration antérieure de ces questions, entreprise à l'invitation de la Dutch Society of Christian Historians: D. J. B. Trim, “De Fransegodsdienstoorlogen en de uitdaging voor partijdige geschiedenis,” Transparant: Tijdschrift van de Vereniging van Christen–Historici 17:3 (2006): 4-8.
  3. Voir Ellen G. White, Counsels to Writers and Editors (Nashville, Tenn.: Southern Publishing Assn., 1946), 35, 60, 63-65.
  4. Natalie Zemon Davis, “The Rites of Violence: Religious Riot in Sixteenth-century France,” Past and Present 59 (1973): 51-91; reproduit dans Society and Culture in Early Modern France: Eight Essays (Stanford, Calif.: Stanford University Press, 1975), qui est la version citée ici (à partirde la page 163) et ci-après.
  5. Ibid., 167.
  6. Ibid., 165.
  7. Ibid., 172.
  8. Ibid., 173.
  9. Ibid., 183; Philip Benedict, Rouen During the Wars of Religion (Cambridge & New York: Cambridge University Press, 1981), 128.
  10. Ibid.
  11. Davis, “The Rites of Violence,” 157.
  12. Ibid., 162.
  13. Ibid., 163.
  14. Ibid., 179; Benedict, Rouen During the Wars of Religion, 64, 67.
  15. Benedict, Rouen During the Wars of Religion, 58.
  16. Davis, “The Rites of Violence,” 163, 164.
  17. E.g., ibid., 156, 157, 171; Benedict, Rouen During the Wars of Religion, 61.
  18. Davis, “The Rites of Violence,” 157, 158, 160, 171, 173, 174, 179-181, 183; Benedict, Rouen During the Wars of Religion, 60-63, 67.
  19. Cité par Loris Petris, “Faith and Religious Policy in Michel de L’Hospital’s Civic Evangelism,” The Adventure of Religious Pluralism in Early Modern France, Keith Cameron, et coll., éds. (New York, Oxford & Bern: Peter Lang, 2000), 137.
  20. Voir Hans R. Guggisberg, Sebastian Castellio, 1515-1563: Humanist and Defender of Religious Toleration in a Confessional Age (Burlington, Vt.: Ashgate, 2003).
  21. Actes 5.29. Toutes les citations bibliques sont tirées de la Nouvelle Bible Segond, (NBS), 2002.
  22. Tel qu’identifiée par Ellen White ; voir The Great Controversy Between Christ and Satan (Mountain View, Calif.: Pacific Press, 1911), 276, 277.
  23. Davis, “The Rites of Violence,” particulièrement page 174.
  24. Cf. H. H. Leonard, “The Huguenots and the St. Bartholomew’s Massacre,” The Huguenots: History and Memory in Transnational Context: Essays in Honour and Memory of Walter C. Utt, David J. B. Trim, éd. (Leiden & Boston: Brill, 2011), 65, 66.
  25. Théodore-Agrippa d’Aubigné, Histoire Universelle, éd. Alphonse de Ruble (Paris: Librarie Renouard, 1893), 7:161. Publication originale entre 1616 et 1620).
  26. Matthieu 5.43, 44.