Éditorial | James C. Davis Jr.

LA TÂCHE LA PLUS DÉLICATE

Je suis un éducateur adventiste qui fait souvent référence au livre Éducation. Il a été écrit par Ellen G. White en 1903, et présente un modèle de l’éducation adventiste tout aussi révolutionnaire et pertinent aujourd’hui qu’il y a plus de 100 ans.

Lire Éducation peut susciter beaucoup de réactions. Parfois, sa lecture est stimulante. Elle nous fait penser à ce qui peut être et à qui nous nous associons. À d’autres moments, la gravité de la responsabilité de l’éducateur peut susciter le sentiment de ne pas être à la hauteur de la tâche. Et encore, cette lecture peut nous lancer le défi qu’il y a urgence à réfléchir à nos pratiques professionnelles, et à nous montrer comment les corriger pour mieux servir nos élèves et leurs familles.

Certains passages peuvent prêter à confusion. L’un de ces passages se trouve à la page 324. Nous y lisons la description de l’enseignement en ces termes : « Cette tâche est la plus belle, la plus difficile qui ait jamais été confiée à un être humain1. » J’ai passé pas mal de temps à réfléchir à cette affirmation. Elle peut sembler contradictoire et déroutante.

En effet, il n’y a rien de plus désagréable que d’être assis dans un bureau pendant vingt minutes tandis qu’une mère mécontente me crie dessus et m’accuse de ne pas aimer son fils parce qu’elle n’est pas d’accord avec une certaine réprimande que j’ai faite. Ca n’a certainement pas été agréable quand j’ai dû rencontrer des familles pour leur laisser savoir que leur enfant ne pourrait pas revenir à l’école à cause des choix qu’il ou elle avait pris. Les heures passées dans les réunions du conseil d'administration, les réunions du personnel, les séminaires de développement professionnel n’étaient pas toujours agréables. Et travailler avec les forces de l'ordre et les travailleurs sociaux quand il était nécessaire de signaler les cas de mauvais traitements et de négligence, était loin d’être agréable. Les longues fins de semaine pleines d’activités laissant peu de temps pour récupérer avant le retour en classe le lundi matin n’ont pas été agréables non plus.

Être insulté et harcelé par des parents parce que leur enfant n’avait pas obtenu la note qu’ils auraient voulue, non ce n’est pas quelque chose qui est dans le haut de ma liste de plaisirs. Et les jours de maladie pour avoir interagi avec des jeunes aux mauvaises habitudes d’hygiène qui toussaient et qui avaient le nez qui coulait étaient très désagréables. La liste n’a pas de fin !

Voilà vingt-quatre ans que je sers dans des pensionnats et des écoles de jour en tant qu’instituteur, vice-président, président, surintendant, et j’ai accumulé de nombreuses expériences que je ne qualifierais pas d’agréables. Voilà pourquoi la phrase citée plus haut comprend la précision « la plus difficile ». Nous travaillons avec des humains, et les humains ont des problèmes. En plus, nous apportons nos propres problèmes avec nous.

Ce travail est difficile

Si l’on s'arrêtait seulement sur les choses négatives et les moins agréables, il pourrait être difficile de trouver une raison de continuer. Et comme il est facile d’être absorbé par les choses négatives, les injures et les insultes, il est indispensable de reconnaître les choses positives. En fait, on se doit de s’arrêter sur les choses positives afin de pouvoir supporter les difficiles. Quand vous voyez un étudiant qui lutte avec des problèmes comportementaux commencer à mûrir et obtenir le contrôle de lui-même après des heures de discipline, de conseils, de réorientation et d’amour – ça c’est agréable. Guider une classe à travers un sujet difficile, constater la compréhension naissante sur le visage de ses élèves – ça aussi c’est agréable. Enseigner aux côtés d’un ancien élève qui a choisi pour carrière l’enseignement, c’est valorisant. Créer des liens et des relations authentiques de manière à ce que les étudiants se sentent en sécurité alors qu’ils viennent à vous avec leurs défis et cherchant des conseils, c’est positif. Voir vos étudiants sortir de l’eau dans le baptistère et donnant publiquement leur cœur à Dieu, c’est exaltant. Être invité aux remises de diplômes, aux mariages et aux présentations des bébés des élèves avec lesquels vous avez travaillé est passionnant. Regarder une famille entière joindre l’Église adventiste après avoir inscrit ses enfants dans votre école, c’est réjouissant. Voir vos élèves progresser dans leur scolarité et réussir dans leur carrière, c’est formidable. Le fait que les élèves assument des rôles de leadership au sein de l’Église est une confirmation de notre travail. Il y a encore beaucoup d’autres choses agréables que l’on pourrait signaler, et voici deux histoires qui me l’ont fait comprendre.

Deux exemples

Il y a quelques années de cela, je travaillais pendant un week-end d'anciens élèves de l'académie. C’était samedi soir tard, et la majorité des gens avaient quitté le campus. Un ancien élève était encore sur le campus et s’attardait à bavarder avec nous. Cet élève avait été diplômé quelques années auparavant, et à cette époque, il ne pensait qu’à partir, ne cessant d’exprimer sa frustration et des plaintes au sujet de l’école et du personnel.

Alors qu’on parlait, il s’est mis à se remémorer son temps passé à l’académie : il a énuméré toutes les choses qu’il avait aimées, les moments de plaisir qu’il y avait connus, et il a affirmé combien cette école était extraordinaire. Je l’ai questionné sur ses fortes frustrations quand il avait obtenu son diplôme, et il a reconnu que c’était le cas. Il m’a répondu : « Parfois on ne sait pas ce qu'on a jusqu'à ce qu'il n'y en ait plus. » En dépit du mauvais traitement qu’il infligeait à ses enseignants, nous avons quand même eu une influence sur lui. Bien que cela, à l’époque, ne semblait pas évident, il avait fini par apprécier ce que le personnel avait fait pour lui et les chances qu’il avait reçues. Ça, c’était agréable!

Depuis, je considère les plaintes des étudiants de manière très différente. Tout en continuant à écouter leurs doléances et à les ajuster selon les besoins, je prends aussi en considération que ces choses, après une période de temps, seront perçues différemment.

Quelques années après cette expérience, un autre étudiant m’a donné de ses nouvelles. Il m’a informé qu’il serait en ville et qu’il souhaitait venir bavarder avec moi un moment. Cet étudiant avait fait plus d’un mauvais choix et, finalement, on lui avait demandé de quitter l’école. À cette nouvelle, j’étais allé le voir et j’avais passé quelques moments avec lui. Je voulais qu’il sache qu’en dépit de ses erreurs, il avait encore de l’importance à nos yeux et que nous nous souciions de lui.

Et voilà que des années plus tard, assis dans mon salon, il m’a confié combien cela l’avait touché. Ma main tendue lui avait donné la conviction que je ne le jugeais pas. Puis, au cours de notre conversation, il m’a parlé de l’église qu’il fréquentait et des postes dans lesquels il la servait. Il m’a raconté qu’il était revenu à Christ. Cela a été extrêmement touchant. J’étais très ému et je n’ai pu que dire « Gloire à Dieu » d’avoir travaillé à travers moi dans cette circonstance.

« Des parents et des maîtres dorment de leur dernier sommeil, leur vie semble avoir été vaine ; ils ne savent pas que leur fidélité a fait jaillir des flots de bénédictions intarissables ; c’est par la foi, pas autrement, qu’ils ont vu les enfants élevés par leurs soins devenir sources de bénédictions et d’inspiration pour leurs semblables, et leur influence se multiplier. »

Éducation, p. 338.

Il est essentiel que nous, éducateurs, nous nous accrochions à ces moments où le rideau est tiré, et où nous nous apercevons que nous faisons une différence. Cela n’arrive pas assez souvent, et il est fréquent que nous doutions de notre efficacité. Ces moments fugaces qui nous permettent de voir l’impact que nous avons peuvent nous encourager quand nous traversons des périodes difficiles. Si nous continuons à lire le paragraphe d’où nous avons tiré notre première citation, nous découvrons que : « Cette tâche est la plus délicate, la plus difficile qui ait jamais été confiée à un être humain. Elle nécessite un tact, une sensibilité extrême, une connaissance profonde de l’être humain, une foi et une patience célestes, une volonté intense de travailler, de veiller, d’attendre. C’est une œuvre plus importante que toute autre2. » Je peux vous certifier que l’Église adventiste a beaucoup, beaucoup de ces enseignants qui répondent à cette description. Il faut des quantités énormes de tact et de patience pour entendre un parent qui se défoule, et éviter d’être sur la défensive. Souvent, tout ce qu’il faut pour régler une situation avec un parent est de lui fournir l’occasion de parler et d’être écouté.

Les enseignants doivent avoir une connaissance profonde de l’être humain pour remettre sur le bon chemin les élèves aux comportements inappropriés. La connaissance du fonctionnement de l'esprit humain permet d'instruire et de guider les jeunes esprits. Nous devons exercer une grande foi pour travailler, veiller et attendre de voir les fruits de notre travail. Je crois que, dans bien des cas, ce n’est que lorsque nous serons au ciel que nous saurons pleinement comment Dieu a travaillé à travers nous.

Qu’est-ce qui peut être plus important que les jeunes de l’Église adventiste du septième jour ? En cela je suis un peu intéressé, mais je crois l’éducation adventiste est l’un des plus importants ministères de l’Église, et Ellen White semble bien défendre cette conviction.

Nous devrions continuer à placer, dans autant d’écoles que nous pouvons, des éducateurs qui ont du tact, une connaissance de la nature humaine, la foi, la patience et la volonté de travailler, de veiller et d'attendre. À chaque étudiant dans nos églises, une éducation adventiste devrait être accessible. Nous devrions aller au-delà de notre cercle et nous tourner vers nos communautés pour y chercher les familles qui ont besoin de l’amour de Christ. Certes, l’éducation peut être extrêmement difficile mais elle est aussi éminemment gratifiante. « C’est une œuvre plus importante que toute autre. » Assurément, c’est la tâche la plus délicate… La tâche la plus agréable !

Adapté avec permission. Publié à l'origine sous le titre "The Nicest Work" par James C. Davis, Jr dans le magazine Outlook (mars 2021 en ligne), une publication mensuelle de la Fédération de l’union de l’Amérique du centre des adventistes du septième jour à Lincoln, Nebraska. Disponible à l'adresse https://outlookmag.org/the-nicest-work/.

James C. Davis Jr.

James C. Davis, Jr, M.A., est le responsable de l'éducation de la Fédération des adventistes du septième jour du Minnesota à Spring Lake Parks. J. Davis est un éducateur d’expérience qui compte plusieurs années de service en tant qu'enseignant, administrateur et spécialiste de la technologie dans les écoles adventistes.

Référence recommandée :

James C. Davis, jr, La tâche la plus délicate, Revue de l’éducation adventiste,

NOTES ET RÉFÉRENCES

  1. Ellen G. White, Éducation, p. 324, Vie et Santé, France, 1986.
  2. Ibid., p. 338.