Perspectives | Niels-Erik Andreasen

AVANCER DANS UNE AUTRE DIRECTION

Réflexions sur l’éducation supérieure adventiste en temps de crise

Si l’on en croit les grands titres, l’éducation supérieure lutte pour son avenir. La cause la plus récente en est la perturbation de la vie quotidienne et de l’économie par la COVID-191. Les difficultés ont débuté quand les étudiants universitaires ont été renvoyés à la maison le printemps dernier à cause de la pandémie. Ils s’en sont allés avec les remboursements des frais de chambre et de pension non utilisés. Certains collèges, mais pas tous, ont prudemment rouvert leurs campus aux étudiants à l’automne 2020. D’autres collèges continueront à enseigner en ligne ou avec un mélange de présentiel et en ligne.

Les mesures de sécurité qui accompagnent la réouverture des campus ressemblent plus à une course à obstacles qu’à la familière et chaleureuse lettre de bienvenue aux étudiants nouveaux et anciens. De nombreux professeurs sont préoccupés par leur propre sécurité et celle de leurs élèves et du personnel scolaire lors de l’enseignement en présentiel, du moins jusqu’à ce que la majorité de la population ait été vaccinée. Entre-temps, à l’échelle des États-Unis et dans le monde entier, des emplois ont été perdus, et pour beaucoup les ressources familiales pour l’éducation ont diminué. Pour se sortir de cet impact financier négatif, de nombreuses institutions ont eu recours aux licenciements, aux réductions d'effectifs et au gel des embauches, espérant ainsi harmoniser les recettes et les dépenses. Certaines écoles ont demandé l’assistance publique. Les gouvernements ont affecté certains fonds, et de généreux anciens étudiants ont fait des dons pour remplacer les revenus perdus2. Mais selon les experts de l'enseignement supérieur3, il ne sera pas facile pour les collèges et universités de s’en remettre, et nombreux sont ceux qui s’attendent à de fortes pertes financières dans les mois à venir, et qui exigeront des emprunts d’urgence pour leurs opérations.

Cette situation actuelle est aggravée par le fait que certains segments de l’enseignement supérieur américain avaient déjà des problèmes avant le virus, particulièrement les plus petits collèges privés et quelques institutions publiques régionales. L’enseignement supérieur adventiste fait partie de ces plus petits collèges privés. Le sommet organisé par les dirigeants de l’éducation de la Division nord-américaine (NAD) à Chicago, Illinois, en août 20184, avait déjà sonné l’alarme au sujet des défis émergents qui attendaient les collèges et universités dans la NAD – soit la baisse continue et généralisée des inscriptions et l'augmentation incessante des coûts. La baisse générale des inscriptions est due, en partie, à une baisse de la population en âge de fréquenter l'université qui s'est poursuivie au cours de la décennie actuelle. Cela influe tant sur les institutions publiques que privées, particulièrement dans les régions du centre, du nord et de l'est des États-Unis. Pour l’enseignement supérieur adventiste, des facteurs supplémentaires jouent un rôle : soit des changements démographiques dans les églises de la NAD (familles plus petites et membres vieillissants) en plus des facteurs de coût.

Le sommet de Chicago a proposé des plans d’action concrets en réponse à ces tendances présentes et futures5. On peut nommer les plans suivants : des services partagés d'arrière-guichet, un engagement en faveur de l'enseignement en ligne, une consolidation et segmentation des établissements, et, plus difficile que tout, le ralentissement des augmentations de coût de l’enseignement supérieur. Tous sont des plans d’action prometteurs, et mis en place, ils contribueraient dans une certaine mesure à renforcer l'éducation supérieure adventiste. Le coût  de l’éducation universitaire, tout comme le coût du logement, a augmenté plus rapidement que le revenu familial de la majorité des gens ces dernières décennies. Il leur est donc difficile de payer un collège privé pour leurs enfants sans bourses d'études ou des réductions importantes sur les frais de scolarité. Cela a exercé une pression à la baisse sur les revenus nets des frais de scolarité et sur la capacité de nombreux collèges à respecter leurs budgets. Tout cela était connu depuis quelque temps, et voilà que le virus a fait son apparition !

Ci-dessous, je vous propose quelques modestes idées pour répondre à la menace permanente que nos collèges et universités rencontrent de manière générale, et maintenant à la lumière du virus. Elles ne sont pas nouvelles. Aucune d’elles n’est facile. Mais ces idées, ou quelque chose qui leur ressemble, sont nécessaires si l’éducation tertiaire dans la NAD doit survivre aux prochaines années difficiles. La question qui nous confronte est celle-ci : Comment pouvons-nous continuer à fournir la qualité vantée de l’enseignement supérieur adventiste pendant cette période de stress tout en maintenant la viabilité financière de nos institutions ?  Cet article se joint à de nombreux autres pour demander un recalibrage de la façon dont nos services éducatifs sont offerts.  Et, bien sûr, il suppose un recrutement agressif malgré les défis démographiques.

1. « Nous ne battons pas en retraite - nous avançons dans une direction différente6. »

Comment devons-nous réagir aux revers et aux replis (aux avancées dans une direction différente) ? Au cours d’une de mes propres périodes difficiles quand je faisais face à un ralentissement économique, un collègue m’a conseillé : 1) Remercie Dieu pour les crises et les revers ; 2) Ne les gaspille pas ; 3) Utilise-les pour prendre les décisions nécessaires, puis exécute-les. Cela a l’air intelligent mais c’est aussi troublant. Faut-il attendre les ralentissements économiques pour corriger les erreurs commises pendant les reprises économiques ?  Quelles sont les implications potentielles d’avancer dans une direction différente ? Cela pourrait-il exiger une retraite opérationnelle en préparation d’une tactique d’avance ? Cela pourrait-il même marcher pour l’éducation ?

« Avancer en reculant » pour un collège qui fait face à des temps stressants signifie la réduction des effectifs (redimensionnement est le terme politiquement correct), la consolidation et le recentrage de l’institution au lieu de simplement en poursuivre l'expansion, l'extension et l'agrandissement. De telles mesures prises en période de stress commencent généralement par la réduction du corps professoral et du personnel car leur rémunération représente la dépense la plus importante, et donc le plus grand facteur de stress financier dans les opérations de l’école. Mais cela en soi peut rapidement mener à de nouveaux défis alors que la charge de travail augmente pour ceux qui restent en arrière, à moins que l’école fasse simultanément différentes sortes de réductions. Cela soulève la question de l'offre de cours par rapport aux étudiants inscrits, et la capacité de l’institution de les enseigner. Cela, à son tour, soulève les importantes questions sur la qualité de l’enseignement. Mais une question d’importance majeure est que de nombreuses petites institutions (et peut-être aussi quelques grandes) offrent tout simplement trop de cours, de spécialités et de services, avec moins qu'une masse critique d'étudiants dans chaque cours et programme. Une manière de visualiser cela est de comparer la taille considérable de nos catalogues universitaires où sont listés tous les programmes et les sujets enseignés, avec les catalogues d’institutions beaucoup plus grandes. La similarité de taille peut être instructive. Comment des institutions plus petites peuvent-elles se permettre tant de programmes et cours étant donné leurs modestes niveaux d’inscription ? En corollaire, en quoi la prolifération de spécialités, programmes, concentrations, cours facultatifs, et offres de cours permettent vraiment une meilleure éducation ?

Bien sûr, on trouve toujours de bonnes raisons d’élargir nos offres éducatives, et c’est ce qu’illustre nos catalogues universitaires détaillés, une de ces raisons est le désir de répondre aux nombreux intérêts variés de tous les éventuels étudiants. Ajoutez à cela, notre désir d’agrandir nos campus et leurs installations, et d’accroître leur visibilité dans la communauté.   Ce sont là de bonnes raisons. Mais elles coûtent très cher, et il s’en suit que certaines institutions fonctionnent avec des déficits structurels.

Un déficit habituel survient dans une année pendant laquelle les dépenses dépassent les revenus pour une raison quelconque. Un déficit structurel est intégré dans le budget dans le cadre normal des opérations. Il est couvert par l’augmentation prévue du nombre d'inscriptions et des frais de scolarité. L’institution espère que ces coûts réguliers seront couverts par la croissance mais il n’y a aucune garantie. Si jamais cette croissance s’arrête, le déficit devient permanent et difficile à effacer. Il peut finir par noyer une institution dans l’encre rouge, et éventuellement la mener à la fermeture par son conseil d’administration. Ces institutions sont particulièrement vulnérables pendant la pandémie actuelle qui menace tant les augmentations permanentes des frais de scolarité et les hausses nécessaires des inscriptions. Malheureusement, ce scénario semble être la situation de certaines plus petites institutions universitaires comme les nôtres dans la NAD. C’est ce qui est probablement à l’origine du sommet de Chicago sur l’enseignement supérieur adventiste en 2018.

Peut-on redimensionner un petit collège sans endommager la qualité de son éducation et le précipiter dans une nouvelle spirale descendante ?

2. Un élagage agressif et son impact sur la qualité éducative

« Vous ne récolterez jamais de grappes sur cette vigne », me dit mon voisin à St. Helena, Californie, en voyant l’incompétence et la timidité de mon élagage sur ma vigne de raisins Thompson sans pépins le printemps dernier. De fait, seule un élagage correct et agressif produit une bonne récolte. Cela peut-il aussi être vrai d’une petite université en temps de stress ? Certainement, cette pensée n’est pas agréable. Alors avec quelle agressivité avons-nous besoin d’« élaguer », et qu’est-ce que cela fera à la qualité de l’enseignement supérieur adventiste ?

Certains disent que l'élagage d'un collège ne devrait consister qu'à réduire les budgets afin de les équilibrer et d'éviter les déficits, particulièrement les déficits structurels, et laisser tout le reste intact. Cela comprend généralement la réduction du corps professoral et du personnel en redimensionnant ce que l’on appelle couramment le ratio élève/enseignant. Considérez cette expérience de pensée pour un moment. De combien d’étudiants avons-nous besoin pour que nos cours et programmes soient viables, et combien d’enseignants avons-nous besoin d’embaucher pour les enseigner dans le cadre d’un budget équilibré ? Placez les enseignants – 50, 70, 100 ou plus – dans une distance sociale sur le campus, et distribuez un nombre égal d’étudiants autour de chaque enseignant. Cela donnera un ratio élève/enseignant visuel pour le campus. Chaque université devrait comprendre pour elle-même quel devrait être ce nombre. Il peut être différent pour les étudiants diplômés, les professionnels et les étudiants de premier cycle, et il doit tenir compte des étudiants à distance et à temps partiel. Maintenant calculez les frais d’inscription nets que chaque étudiant paie (une moyenne convient), multipliez cela par le nombre dans chaque cercle d’étudiants, et comparez cela au budget des ressources humaines pour leur enseignant, y compris le salaire, les bénéfices, l’aide de bureau, la recherche, les voyages de conférence, etc.  Multipliez cela par le nombre de cercles et vous obtiendrez le budget des recettes et des dépenses de l'établissement dans la fonction d'enseignement.

On peut faire la même chose pour les auxiliaires (chambre et pension). En plus, le budget total de l'institution comprendra, dans la plupart des cas, des recettes autres que les frais de scolarité, tant du côté des recettes que du côté des dépenses, soit les coûts de fonctionnement du campus, la gestion, les services et les obligations financières, le soutien aux étudiants et aux enseignants, etc., et tout cela doit être financé par ce qui reste après les dépenses d’enseignement. On peut facilement obtenir du National Center for Education Statistics (NCES) les pourcentages courants du budget total assigné à chacune des fonctions mentionnées ci-haut y compris l'enseignement dans un collège privé typique de quatre ans7. Ces pourcentages peuvent varier légèrement selon l’économie locale, les niveaux de rémunération, et les frais d’inscription. Pour la plupart des petites institutions, tous ces nombres et ratios peuvent être inscrits sur une seule page et ils montreront rapidement si le budget d’une école est en équilibre ou en déficit.

Le nombre/ratio le plus important et donc le plus crucial est le premier en raison de sa taille. Combien d’étudiants pour chaque enseignant ? La sagesse populaire veut que dans les collèges privés traditionnels, résidentiels, de premier cycle avec des charges de 12 unités par trimestre, un ratio enseignant/étudiant de 1à 10/11 ou moins, entraînera probablement à des déficits structurels et à une fermeture éventuelle ; un ratio de 1 à 12/13 peut être à peine praticable ; et un ratio de 1 à 14/16 et plus, probablement fonctionnera bien. Le juste ratio étudiant-enseignant est un important indicateur de stabilité et de succès. Jusqu’ici, dans ces commentaires, on a supposé qu'il s'agît d'un collège résidentiel typique ou une université avec un corps professoral à temps plein.

Pendant la pandémie, de nombreuses institutions ont enseigné tous ou certains de leurs étudiants en ligne et en hors campus.  Cela a causé une baisse des revenus auxiliaires mais peu ou pas de réduction des coûts dans les domaines de l'enseignement, sauf quand les collèges partagent une partie des étudiants, des enseignants et des revenus des frais de scolarité, tel que proposé par le sommet de Chicago. Les collèges virtuels qui enseignent tous leurs élèves en ligne avec des professeurs majoritairement contractuels utiliseront une modèle financier différent non considéré ici. Beaucoup sont des institutions à but lucratif.

Les licenciements, les mises à pied provisoires et le gel des embauches dans l’enseignement dus à la COVID-19 ont pour but d’améliorer les ratios étudiant/enseignant à une époque d'incertitude en matière d'inscription. Mais quel impact cela aura-t-il sur la qualité de l'éducation et comment l'atténuer ?

3. La gestion par objectifs

La gestion par objectifs est une formule que le défunt gourou de la gestion, Peter Drucker, a rendu populaire. En quoi cela pourrait-il aider les collèges et les universités pendant la COVID-19 ? Est-ce quelque chose que l’on met en œuvre en période de ralentissement économique à cause de problèmes négligés en période de croissance ? Ou cela représente-t-il ce qui devrait être des procédures opérationnelles standard ? Souvent, les éducateurs désapprouvent cette formule de gestion pensant qu’elle n’est axée que sur l’argent. Pour les besoins de cette discussion, il s'agit de l'ensemble des objectifs éducatifs que nous recherchons pour nos étudiants. Ils comprennent le développement personnel, la formation éthique, sociale, spirituelle, la préparation d’une œuvre de vie, la compréhension religieuse, comment se rattacher à la mission de l’Église, l’acquisition de compétences précieuses, une orientation internationale, des possibilités d’apprentissage multidimensionnelles, et même de la recherche de premier cycle, tout cela débouchant sur un diplôme ou un titre certifiant qu'un apprentissage de qualité a eu lieu. Cependant, selon le point de vue de l’administration universitaire, les principaux pourvoyeurs de ces objectifs éducatifs seront toujours les professeurs. Ils doivent être engagés, soutenus et rémunérés. Ils sont les principaux gestionnaires des objectifs éducatifs.

La plupart des programmes universitaires  (spécialités) – et cours généraux également –débutent avec les professeurs qui déterminent ce que les étudiants auront à apprendre dans leurs programmes respectifs. Les professeurs construisent leurs programmes d’études sous l’œil vigilant des doyens et des présidents tout en gardant à l’esprit les exigences des organismes d'accréditation et de certification. À l’occasion un cours est ajouté pour explorer un nouveau sujet ou pour bénéficier de l’expertise d’un nouvel enseignant. Il est rare que des cours soient éliminés du programme. Quand l’esprit des étudiants « se heurtent » amicalement avec celui des enseignants dans ces cours, l’éducation a lieu. Mais combien d’enseignants et de cours faut-il pour que ces « collisions » se fassent avec de bons résultats d'apprentissage ?

Pendant mon long mandat en tant qu’administrateur universitaire, j’ai rencontré des milliers d’anciens étudiants, et nombreux étaient ceux qui voulaient avoir des nouvelles de leur ancienne école : professeur untel est-il encore vivant, et quand est-il de tel doyen ? Jamais une question n’a été soulevée sur le président, ni la taille de la faculté, ni de la croissance du campus, ni des services et du soutien extrascolaires. Pourtant tout cela est important ! Assurément, les enseignants individuels sont les héros incontestés de l’éducation. En outre, j’ai conclu dans la plupart des cas, un, deux, ou trois enseignants influents ont attiré les étudiants dans leur classe, ils les ont aidés à choisir une spécialité, et les ont guidés jusqu’à la remise des diplômes et leur vocation de vie. Voilà le témoignage des anciens élèves.

C’est la raison pour laquelle, je crois qu'il y a quelque chose à gagner pour la viabilité à long terme de l'institution en redéfinissant l'enseignement et l'apprentissage (les programmes d’études) autour d’un nombre limité de cours exceptionnellement bien enseignés (c’est-à-dire « juste corrects ») pour aider les étudiants à remplir les conditions d'obtention de leur diplôme, conserver leurs crédits, et donc à réduire les coûts, et à faciliter l'obtention d'un diplôme de premier cycle en quatre ans. L’ampleur de l’apprentissage se fera dans l’esprit des étudiants principalement en interagissant avec leurs meilleurs professeurs, et pas seulement quand ils sont à la recherche de cours additionnels offerts dans le catalogue. La clé ici est des cours en « nombre limité » et « juste corrects » bien enseignés qui permettent aux étudiants de conserver le nombre de leurs crédits, réduire les coûts, et obtenir leur diplôme en temps.  Tout ajustement significatif du corps professoral commence par un ajustement de la conception du programme d'études. Cela exige des choix difficiles lors de l'élaboration du programme d'études, ainsi que la qualité et l'étendue de l'apprentissage lors de la conception de chaque cours.

 Le résultat d’une nouvelle conception de du programme d’enseignement et d’apprentissage sera le rééquilibre entre la quantité et la qualité dans l’expérience éducative des étudiants. Une masse critique d’élèves dans chaque classe aider également à favoriser l’apprentissage d’élève à élève (une approche de tutorat par les pairs) tout en gardant le ratio élève/ enseignant à un niveau viable. En retour, le reste des services et programmes sur le campus s’inspireront de l’économie et de l’efficacité du secteur éducatif. La communauté universitaire donnera l’exemple de l’efficacité éducative et de la modestie administrative. En période d’ajustements budgétaires, les membres du corps professoral ont souvent l'impression que le véritable problème de coût est dû à l'hypertrophie du personnel, tandis que le personnel estime que les postes de professeurs sont injustement protégés. Il est toujours préférable que celui qui donne l’exemple (dans ce cas les professeurs) appelle le reste du campus à le suivre.

Si cette approche est viable dans les programmes d’études universitaires, peut-elle aussi s’appliquer aux programmes professionnels dont la variété et le nombres de cours sont souvent rendus obligatoires par des agences d’accréditation extérieures ? Dans un tel cas, le collège doit déterminer la viabilité de chaque programme en testant sa capacité de recruter suffisamment d’étudiants pour maintenir un ratio élève/professeur raisonnable dans l'ensemble de son programme d'études obligatoire. Certains programmes ne pourront pas rencontrer cette exigence même en ajoutant des cours d’éducation générale dans le mélange.

L’objectif de ce genre de gestion est de créer un ratio élève/enseignant qui est durable dans le but de débarrasser l’école des déficits structuraux et de développer l'étendue et la qualité de l'apprentissage dans le nombre requis de cours sans ajouter plus de cours que nécessaires à l’obtention du diplôme. Ainsi, le processus de réingénierie ne débute pas en éliminant des professeurs. Il débute avec le programme d’études et la masse critique d’élèves dans chaque cours d’études. Voilà l’objectif par lequel les collèges gèrent la partie instruction du budget, et par implication les budgets pour le soutien à l’instruction, l’administration, les auxiliaires, et cetera.

Mais, même si ces pratiques pouvaient aider les budgets de l’éducation supérieure et stabiliser les opérations des collèges en période difficile, en bout de ligne ne vont-elles pas nuire à la qualité vantée de notre éducation ? Cette question ne disparaîtra pas facilement. C’est une question « structurale » tout comme un « déficit structurel » qui revient constamment. Bref, est-il possible de maintenir une institution d’enseignement supérieur financièrement viable qui soit aussi éducativement viable ? Cela se situe au cœur de la question structurale. Pour réfléchir à cette question, arrêtons-nous à l’illustration et le point final suivants.

4. « Adam I obtient le succès en remportant des victoires sur les autres. Mais Adam II construit son caractère en remportant des victoires sur ses faiblesses personnelles8. »

Dans cette phrase récapitulative de son livre The Road to Character, David Brooks identifie deux aspects de développement personnel ou d’éducation, comme nous l’appelons. Pour des raisons pratiques, il les appelle Adam I et Adam II, le mot Adam signifiant simplement  « homme/humain ». « Adam I » représente les traits de caractère qui aide une personne à construire un excellent curriculum vitae au cours d'un engagement de toute une vie pour le développement de la carrière, la promotion, la réalisation et la reconnaissance. « Adam II » représente les traits de caractère qui aboutissent à une merveilleuse eulogie à la fin d’une vie consacrée aux valeurs, au service, à l’humilité et à la gratitude. Alors que nous cherchons à appliquer ces deux aspects de développement personnel à l’éducation chrétienne face aux défis et aux changements, considérez le premier comme ce que les étudiants retirent d'un programme d'études bien conçu, bien enseigné avec juste assez de cours pour obtenir un diplôme à temps et être qualifiés pour leur travail ou leurs objectifs professionnels. Considérez le deuxième comme les expériences vécues qui construisent et façonnent le caractère tandis que les étudiants grandissent et interagissent avec les autres au sein de la communauté du campus.

L’éducation chrétienne est bénie d’avoir une compréhension innée de ces deux objectifs de vie dans ce que Ellen White appelle la « véritable éducation »9. Jamais nous ne devons abandonner ni l’un ni l’autre peu importe la gravité de la crise devant nous. Comment est-ce possible ?  À lire le livre de Brooks, il devient clair, à partir de ses exemples de Adams II performants qu’eux aussi développent d’excellents curriculum vitae. Ils deviennent des personnes accomplies, mais en chemin, elles ajoutent le trait le plus important – le développement du caractère qui les qualifie pour une noble eulogie.

Les formidables CV, pour la plupart, commencent avec l’éducation, généralement un diplôme universitaire, avec ses divers cours, spécialités, notes et une diplomation qui ouvre la porte à un bon travail. Le développement du caractère se produit aussi à l’université mais généralement il n’est pas associé aux cours, spécialités, notes et degrés qu’un étudiant obtient. Aucun nombre de cours en soi ne conduira à un noble caractère. Cela arrive plutôt dans des moments d’interaction entre l’esprit de l’enseignant et celui de l’élève, et souvent entre les élèves eux-mêmes. Cela arrive pendant des programmes de vie spirituelle, des événements extrascolaires, des activités communautaires, et des expériences de service. Le caractère est la partie de l’éducation qui dure une éternité10. Pour atteindre ce but ultime dans notre éducation, il est peu utile de remplir nos catalogues avec toujours plus de cours, obligatoires ou optionnels. Non, cela dépend de quelques très bons enseignants, d’administrateurs engagés, et d’un personnel de soutien de confiance. On a besoin de la totalité de l’équipe éducative travaillant ensemble pour fournir aux étudiants la meilleure des expériences.

Pour conclure, est-il réellement possible, grâce à une réingénierie du programme d’études, de maintenir une éducation universitaire qui soit à la fois financièrement et éducativement viable ? La réponse est oui, mais cela sera difficile, et chaque institution devra trouver son propre chemin à travers cela. Il n’y a pas de taille unique pour tous, à la fin du processus, les programmes d’études seront plus minces et si possible plus courts. Chaque programme sera réexaminé pour sa viabilité et sa modification. Le ratio professeur (et personnel) à élève sera poussé dans une fourchette durable. Les professeurs (et le personnel) assumeront une plus grande responsabilité pour le développement personnel de leurs étudiants. Le campus ressemblera plus à une famille et sera plus tourné vers la communauté, et l’apprentissage sera plus collaboratif avec un engagement renouvelé à la vie de l’esprit et de la foi.


Cet article a été revu par des pairs.

Niels-Erik Andreasen

Niels-Erik Andreasen, Ph.D., est président émérite de l'université Andrews à Berrien Springs, Michigan, États-Unis, dont il a été le président de 1994 à 2016. Il a également été président du Walla Walla College (aujourd'hui université) à Walla Walla, Washington, de 1990 à 1994. En plus de plus de 45 ans de service à la tête de collèges et d'universités adventistes, le Dr. Andreasen a siégé à des conseils d'administration institutionnels, a écrit des articles et des livres, et a été professeur et spécialiste de l'Ancien Testament.

Référence recommandée :

Niels-Eric Andreasen, Réflexions sur l’éducation supérieure adventiste en temps de crise, Revue de l’éducation adventiste,

NOTES ET RÉFÉRENCES

  1. Avant la COVID-19, les défis de l'enseignement supérieur comprenaient la baisse des inscriptions, le financement adéquat, la gouvernance, la pertinence face à l'évolution du marché du travail, etc. Voir Emma Whitford, “Pandemic Worsened Public Higher Ed's Biggest Challenges,” Inside Higher Ed (24 juin 2020) : https://www.insidehighered.com/news/2020/06/24/coronavirus-pandemic-worsened-higher-eds-biggest-challenges-new-survey-shows; et Scott Galloway, Business Insider (2020): https://www.businessinsider.com/scott-galloway-colleges-must-cut-costs-to-survive-covid-2020-7?fbclid=IwAR2YTn3uecbNuWsT5a1ZQ8aokRu4tULN5i0q7GroC-QtrzSVvoHriWKeMgo.
  2. En 2020, le gouvernement des États-Unis a adopté la loi CARES, qui a alloué 14 milliards de dollars US à l'Office of Postsecondary Education en tant que Higher Education Emergency Relief Fund ou HEERF. (Voir United States Department of Education, “CARES Act: Higher Education Emergency Relief Fund” [2020]: https://www2.ed.gov/about/offices/list/ope/caresact.html). De même, au Canada, une enveloppe de 9 milliards de dollars canadiens a été allouée pour aider l'enseignement postsecondaire. (Voir Nathan Greenfield, “CA$9 Billion Pandemic Support Package for Students Unveiled,” University World News [mai 2020]:https://www.universityworldnews.com/post.php?story=20200512155215600); et un peu plus de 3 milliards de dollars US ont été alloués au Royaume-Uni.  (Voir Gavin Williamson, “New Funding to Support Schools and Colleges During Covid Pandemic,” Department of Education [November 2020]: https://www.gov.uk/government/news/new-funding-to-support-schools-and-colleges-during-covid-pandemic).
  3. David Rosowsky, “Where Does Higher Education Go Next?” Forbes (septembre 2020): https://www.forbes.com/sites/davidrosowsky/2020/09/05/where-does-higher-education-go-next/?sh=35bb58b69b74; and International Consultants for Education and Fairs ICEF Monitor (avril 2020): https://monitor.icef.com/2020/04/measuring-covid-19s-impact-on-higher-education/.
  4. Debbie Michel, “Higher Ed Leaders Vote to Explore Collaboration,” NAD NewsPoints (13 août 2018): https://www.nadadventist.org/news/higher-ed-leaders-vote-explore-collaboration. Voir aussi la Chicago Declaration: The Future of Seventh-day Adventist Higher Education (12 août 2018): https://www.nadadventist.org/sites/default/files/21808/The%202018%20Chicago%20Declaration%20paper.pdf. D'autres présentations du sommet sont disponibles à l'adresse suivante : https://www.adventisthe.org/video-archive.
  5. L'une des principales raisons de la baisse prévue des inscriptions scolaires aux États-Unis est que moins de bébés sont nés pendant la grande récession de 2007-2008. Pour plus d’information sur les tendances démographiques affectant l’éducation supérieure voir Nathan D. Grawe, Demographics and the Demand for Higher Education (Baltimore, Md.: Johns Hopkins University Press, 2018): https://www.insidehighered.com/admissions/article/2018/01/08/new-book-argues-most-colleges-are-about-face-significant-decline.
  6. Citation attribuée à Oliver P. Smith, général de division, USMC, alors qu'il devait battre en retraite dans le théâtre du Pacifique pendant la Seconde Guerre mondiale. Voir “Max Hastings on Oliver P. Smith’s “Advancing in Another Direction” (April 2010): http://entersection.com/posts/915-max-hastings-on-oliver-p-smiths-advancing-in-another-direction, et aussi Max Hastings, The Korean War (New York: Simon and Schuster, 1988), 159.
  7. Le National Center for Education Statistics est une entité fédérale et la source principale pour les données relatives à l'éducation à tous les niveaux aux États-Unis : https://nces.ed.gov/. Voir également des informations connexes du Système intégré de données sur l'enseignement postsecondaire (Integrated Postsecondary Education Data System) : https://nces.ed.gov/ipeds/use-the-data/survey-components.
  8. David Brooks, The Road to Character (New York: Random House, 2015), 13.
  9. Ellen G. White, Education (Mountain View, Calif.: Pacific Press, 1903), 13.
  10. Ibid., 17-19.