Perspectives | Duane Covrig

LE RÔLE MORAL DES CONSEILS SCOLAIRES

Un membre du conseil scolaire entend des rumeurs au sujet d’un professeur d’éducation physique qui utilise un langage déplacé lors d’événements sportifs à l’école. Un enseignant du primaire ayant dans sa classe deux élèves issus d’une famille sans papiers demande au directeur du conseil ce que l’école peut faire pour mettre ces familles à l’abri des perturbations de l’immigration. Un concierge présente à un membre du conseil la preuve qu’un enseignant boit de l’alcool et il veut savoir ce qui sera fait à ce sujet.

Ces questions ont des implications politiques et juridiques évidentes pour les écoles adventistes du septième jour. Elles influencent aussi les relations et les décisions d’embauche, qui toutes soulèvent des interrogations morales. Les membres des conseils scolaires sont appelés à entrer dans la mêlée créée par ces demandes afin d’aider à rendre les écoles sûres et bienveillantes. Ils peuvent apprendre à assumer leurs responsabilités – fiscales, juridiques et relationnelles – afin de prendre de bonnes décisions, instaurer une culture scolaire positive, et accroître leur compréhension des principes éthiques et de leur application de manière responsable. Cela mènera à une croissance morale : de la simple conformité à une coopération juridique et réglementaire majeure avec les autorités locales, à des rôles plus poussés de direction morale. Les conseils scolaires peuvent accroître leur influence sur leurs écoles et leurs communautés élargies.

Ellen White a associé les questions morales à l’éducation dans sa déclaration classique : « Les plans conçus et réalisés pour l’éducation de notre jeunesse ne sont pas trop larges. Les jeunes ne devraient pas recevoir une éducation asymétrique mais toutes leurs facultés devraient être considérées la même attention. La philosophie morale, l’étude des Écritures, et l’entraînement physique devraient être combinés avec les études habituellement poursuivies dans les écoles. Chaque capacité – physique, mentale et morale – a besoins d’être formée, disciplinées et développée pour qu’elle puisse rendre son meilleur service1. » Étant donné que les écoles doivent enseigner la philosophie morale et aider leurs étudiants à atteindre un développement moral, il est logique que les dirigeants de ces écoles, eux aussi, développent leur propre apprentissage moral. Cet article passe en revue des approches utiles qui guideront les conseils scolaires alors qu’ils assument le travail moral de la gouvernance.

Éthique 101

L’éthique et la moralité agissent pour influencer une personne ou un groupe de personnes (organisations, communauté, ou institutions) à faire la bonne chose au bon moment de la bonne manière avec les bonnes personnes afin d’aider les bons groupes – tout en cultivant les bons motifs. La répétition de l’adjectif bon dans cette citation n’est pas simplement un terme technique ou procédural. C’est aussi un terme d’alignement sur les valeurs – et pour les adventistes sur les idéaux et les enseignements adventistes.

Les mots, éthique et moralité, sont souvent employés de manière interchangeable, mais l’éthique se réfère typiquement à la partie réflexion (justification) du travail moral alors que la moralité se réfère à son application (comportement). Les conseils scolaires doivent se soucier de ces deux parties. Ils doivent être prêts à présenter leurs décisions et leurs changements de règlements avec des explications basées sur l’éthique, ce qui permet aux autres de comprendre les justifications de leurs choix. Ils doivent aussi être prêts à mettre en œuvre les visions et les idéaux de manière pragmatique. En d’autres mots, ils doivent à la fois parler et joindre l’acte à la parole. Le but est que les comportements soient changés et que les objectifs de l’école soient atteints.

L’éthique et le développement moral, chez les individus et dans les communautés, sont facilités par des interactions complexes liées au développement cognitif, au développement culturel, à l’intelligence émotionnelle, à la maturité spirituelle et à l’influence sociale. Lorsque l’on reconnaît l'interconnectivité et l'interdépendance de la moralité avec ces autres domaines, nous arrivons à comprendre la citation d’Ellen White citée plus haut qui présente la nécessité d’une « large » compréhension. Les relations construisent des attentes morales. Les attentes morales protègent les relations et établissent la confiance et les limites. Arbitrer entre les attentes morales et les frictions qui découlent du franchissement des limites est un travail délicat qui exige à la fois moralité et leadership.

Il y a beaucoup de « voix » morales auxquelles les membres des conseils scolaires doivent apprendre à prêter attention et à répondre, et avec lesquelles ils doivent constamment rester en contact alors qu’ils prennent des décisions. Le dialogue est la clé qui crée une sagesse morale commune.

Fort heureusement, les membres et les administrateurs des conseils scolaires adventistes du septième jour ont à leur disposition de nombreuses ressources dans lesquelles puiser lorsqu'ils cherchent à améliorer leur développement moral et leur leadership moral commun. Ils ont des commandements et des principes bibliques, des enseignements moraux tirés de l’histoire et des expériences sociales, des lois locales et régionales, et des expériences de travail ou professionnelles. Plusieurs membres ont des codes d’éthique issus de leur expérience professionnelle qui peuvent les aider à façonner les discussions du conseil sur les questions morales. Il y a beaucoup de « voix » morales auxquelles les membres des conseils scolaires doivent apprendre à prêter attention et à répondre, et avec lesquelles ils doivent constamment rester en contact alors qu’ils prennent des décisions. Le dialogue est la clé qui crée une sagesse morale commune. Les directeurs des conseils scolaires qui tendent à abréger les discussions risquent fort de sacrifier la croissance morale commune de leurs conseils par souci d’obtenir des décisions rapides. Certes, les conseils ont besoin de maintenir un rythme régulier de traitement de l'ordre du jour, mais c’est le dialogue commun – l’écoute du raisonnement des autres – qui aide le plus chaque membre à grandir en sagesse morale, et aide le groupe à solidifier une vision morale partagée.

Une discussion franche et respectueuse d’idées morales peut générer un conflit. Le dialogue est le pont que nous prenons pour comprendre la pensée d’un autre – mais ce que nous voyons quand nous y arrivons peut ne pas nous plaire. Certains, alors, se retirent de la discussion pour éviter le conflit ou, en colère, ils essaient de dominer le dialogue dans le but de supprimer la pensée de l’autre personne. Cependant, les individus sages peuvent utiliser le dialogue interpersonnel pour améliorer leur développement cognitif et moral. Ils peuvent recevoir les idées des autres comme étant de légitimes observations de ce qui se produit dans le monde. Permettre aux individus d’expliquer leur pensée morale est important pour leur développement, ainsi que pour le nôtre. Cela fortifie leur voix morale et leur permet de partager leur expérience et leurs inquiétudes. Par contre, le plus important est d’écouter respectueusement, et les directeurs de conseils ont besoins de le réitérer. Ce faisant, alors que nous reconnaissons les idées et les expériences des autres, particulièrement celles qui diffèrent des nôtres (autres cultures, races, générations et sexe), nous élargissons notre compréhension et, si nous le permettons, nous serons conduits vers une plus grande compassion et l’opportunité de reconnaître la validité de points de vue différents. Je rappelle souvent à mes étudiants le chapitre 8 des Proverbes où l’appel à écouter survient de façon répétée dans le contexte de la compréhension de la sagesse et de ses voies. Il n’est pas facile de maintenir notre conversation morale sur la voie du consensus et d’une vision commune, mais les idées ci-après peuvent nous aider à y arriver.

Développer la compétence morale du conseil scolaire

Bien que cet article ne puisse pas couvrir toutes les riches ressources disponibles pouvant aider les conseils scolaires à apprendre comment s’engager dans un leadership moral, voici sept domaines qui méritent d’être pris en considération et qui traitent du développement de la compétence morale :

1. Lire et comprendre les codes d’éthique pour le personnel scolaire et les membres des conseils scolaires

De nombreux groupes professionnels et/ou d’agences provinciales ou d’État ont tenté d’énumérer, d’expliquer et d’illustrer les valeurs morales et les idéaux éthiques qu’ils exigent de leurs employés. La lecture de ces codes d’éthique est un point de départ utile. Les conseils scolaires devraient commencer avec ce qui est moralement et légalement attendu des administrateurs scolaires, des enseignants, des psychologues et des conseillers. Les conseils scolaires étant des serviteurs qui cherchent à aider ces professionnels, ils devraient comprendre comment ces professionnels sont appelés à travailler, et trouver comment le conseil peut participer à la création d’un environnement moral qui les aide à accomplir leur appel.

Les membres des conseils devraient aussi lire les codes d’éthique disponibles pour les conseils d’administration tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du domaine de l’éducation (voir plus bas l’extrait de la Division nord-américaine). Le fait de les examiner périodiquement lors des réunions de conseil peut être un rappel utile de la responsabilité morale des membres du conseil scolaire.

2. Considérer le rôle moral comme un travail fonctionnant par étapes

Le modèle en quatre étapes de James Rest2 a été utilisé et modifié au cours des 30 dernières années pour avoir un avoir un aperçu du « cycle de vie » du rôle moral. Le premier cycle est la sensibilisation aux questions morales. Être sensibilisé à ou être conscient d’un problème moral signifie habituellement une volonté de voir l’impact des événements, des déclarations ou des actions sur le bien-être des individus ou des groupes. Les conseils peuvent s’entraîner à reconnaître les questions morales en se mêlant régulièrement à leur communauté afin d’entendre et d’observer leurs préoccupations et défis. On révèle sa sensibilité morale en utilisant des phrases telles que : « cela me préoccupe… », « cela n’est pas juste… », « cela fait du tort aux enfants… », « cela me semble injuste… », « je souhaite… », « mon rêve est de… ». Chercher à comprendre les souffrances et les joies des autres produit souvent en nous un cœur plus sensible.

Les conseils ne sont pas seulement les intendants de leurs propres positions morales mais aussi de celles de leurs constituants. Pour cela, il faut avoir un profond désir de comprendre les autres. De fréquentes visites, des sondages anonymes et d’autres outils de communication peuvent transformer des signaux « faibles » en une forte prise de conscience. Les conseils doivent faire attention à l’hypersensibilité et à la possibilité qu’un idéalisme excessif puisse saboter même un changement progressif. Cependant, ils ne doivent pas ignorer même le plus petit gémissement de sensibilité morale, de peur qu’ils ne soient désensibilisés au changement moral et à la croissance que Dieu essaie de produire dans leur école et leur communauté.

La deuxième étape est le jugement. Il s’agit de la capacité de rassembler les rumeurs, la colère, les points de vue et les rêves qui circulent dans l’école et d’en discuter avec réalisme en tant que conseil scolaire afin d’évaluer systématiquement une question morale. Le jugement, c'est de passer par une procédure équitable et bienveillante qui invite de nombreux témoins, mais qui remet aussi en question les points de vue, et même les interroge avec d'autres points de vue. Les conseils doivent veiller à éviter le jugement critique qui n’est pas la même chose qu’un jugement juste. Le jugement critique se perd en généralités et préconceptions, il prend une décision précipitée sans application régulière de la loi ni audience. L’excellent livre de Cooper Making Judgments Without Being Judgmental : Nurturing a Clear Mind and a Generous Heart3 explique la différence entre les deux et présente d’excellentes stratégies pour améliorer cette pratique.

Le jugement critique apparaît quand les membres du conseil prennent des décisions précipitées, laissent les ragots guider leurs propos et déformer leurs données, ou quand ils nourrissent un esprit malveillant envers ceux qui, selon eux, sont en tort. Il est facile de nourrir des attitudes de condamnation, particulièrement dans les communautés chrétiennes aux idéaux élevés.

Le jugement chrétien évite les généralisations excessives. Il reste concentré sur les aspects particuliers de la situation en question et il ne s’abaisse pas à attaquer le caractère de ceux qui sont impliqués. En 2018, le Juge en chef de la Cour suprême, John Roberts a bien expliqué comment les membres de la Cour évitent la discorde entre eux en limitant la discussion à la tâche à accomplir. En se concentrant sur un point de décision plutôt que de faire pression en faveur d'un consensus moral plus large, ils peuvent empêcher qu’un schisme crée des attitudes de jugement critique. John Roberts a revu son approche administrative en matière de jugement, et cela pourrait être utile que les directeurs en visionnent la vidéo4. Étant donné que la communauté adventiste croit que Dieu a entrepris l'œuvre rédemptrice finale du jugement en 1844, ceux qui servent dans les conseils institutionnels de cette communauté feraient bien d’apprendre comment Dieu fait son œuvre, et comment cela devrait guider notre engagement à l'égard de l'application régulière de la loi dans le jugement.

La troisième étape est un engagement à l’action. Cela implique de cultiver la motivation et la concentration pour agir sur une décision. Les conseils doivent éviter le jugement critique, certes, mais ils doivent prendre des décisions. Leur rôle n’est pas de jouer à être Dieu, mais ils doivent quand même évaluer et juger. Paul a réprimandé les Corinthiens pour ne pas avoir exercé leur jugement dans le cas d’une pratique sexuelle dans leur congrégation (1 Corinthiens 5 et 6). « Ne savez-vous pas que nous jugerons des anges ? Pourquoi pas à plus forte raison des affaires de la vie ? » (1 Corinthiens 6.3, NBS)5. Les conseils ne doivent pas éviter les décisions morales difficiles. Éviter de juger n’est pas un acte d’amour mais de lâcheté. Les conseils scolaires auront à s’engager avec humilité dans la censure, les renvois, les expulsions, et autres actes disciplinaires, alors même qu’ils ont pris la décision d’embrasser la motivation profonde de l’amour et de la vérité.

L’étape finale est le maintien d’un caractère moral et d’une culture morale. Les individus qui cultivent les trois premières étapes acquièrent généralement un caractère, une tendance ou une prédisposition envers certaines actions morales. Un groupe qui fait la même chose crée une culture, une éthique durable ou une tradition de groupe qui favorise de meilleures pratiques morales. Cette étape est encouragée par une conscience sobre de ce qui se produit quand les dirigeants abandonnent leurs responsabilités fiduciaires et de surveillance – l’internet regorge de tels cas – et inversement, elle est inspirée par les fois où le leadership est intervenu dans des écarts moraux. Pensons à Martin Luther debout devant la Diète de Worms ou aux nombreux discours de Martin Luther King jr. appelant les États-Unis à la droiture morale.

Il existe plusieurs façons dont les conseils peuvent améliorer la mise en place de cette étape. Les directeurs peuvent mettre une section « suivi » ou « fermeture de la boucle » dans l’agenda. Cela peut être un temps pour discuter d’une décision antérieure et de son influence sur la culture morale de l’école, les électeurs de l’école et la communauté dans l’ensemble. Les administrateurs et le corps professoral peuvent être invités à partager leurs données qui montrent comment les décisions en matière de politiques et de pratiques ont été appliquées. Il ne s’agit pas principalement d’une responsabilité administrative mais d’aider les conseils à voir comment leurs décisions et celles de leurs prédécesseurs ont influencé l’école et la communauté. La rétroaction devrait accueillir le retour positif et le retour négatif. Lorsqu’il faut améliorer la pratique, n’importe quelle nouvelle est meilleure que pas de nouvelle. Cette bonne volonté d’accepter d’apprendre des choix passés démontre une stabilité dans la prise de décisions antérieures avec sérieux, une volonté d’apprendre, et une acceptation d’être tenus responsables. Cette pratique pourrait également être encouragée dans d’autres domaines décisionnels de l’école. Cela peut créer une « culture de qu’est-ce que l’on peut apprendre » qui est essentielle pour encourager la maturité morale.

3. Apprendre à utiliser le langage des valeurs des six cadres moraux de Haidt

Au cours du processus mentionné ci-dessus, il y aura des conflits moraux qui émergeront. Le site Web Moral Foundation6 de Jonathan Haidt peut aider les conseils scolaires à comprendre les bases de ces conflits moraux. Il voit six valeurs morales universellement « ressenties » en référence à la moralité. Les conseils peuvent utiliser ces valeurs dans leurs discussions et à l’appui de leurs décisions afin de créer un langage scolaire commun. Ces six valeurs sont l’amour (soins), la justice (équité), la liberté, l’autorité, la loyauté et le caractère sacré (pureté). Bien que je n’accepte pas les arguments évolutionnistes que Haidt avance pour l’origine de ces valeurs, je crois qu’il identifie avec justesse les valeurs fondamentales à l’œuvre dans nos communautés.

Le travail de Haidt a aussi été utile pour expliquer l’irritation morale et la division dans nos communautés, l’adventisme inclus. Il note que certaines parties d’une communauté peuvent mettre l’accent sur certaines valeurs plutôt que sur d’autres. Cela mène à une perception du bien et du mal, mais cela peut aussi être utilisé pour polariser l’ensemble de la communauté morale. Cela est particulièrement évident dans la division morale qui caractérise maintenant les politiques de nombreuses nations et organisations religieuses. Même dans les communautés adventistes où les guerres entre les valeurs libérales et conservatrices peuvent causer une profonde division, la désignation calme des principes qui sous-tendent ces valeurs peut être utile pour maintenir le dialogue. Les valeurs libérales d’amour et de compassion ainsi que l’aspect égalité de la justice et la partie autonomie de la liberté ont besoin d’une voix. L’accent que les conservateurs mettent sur l’aspect « méritoire » (le mérite) de la justice, et le besoin de respecter l’autorité, de fidéliser le groupe, et embrasser un profond respect pour le caractère sacré de la vie (en particulier en relation avec les questions sexuelles et l’avortement) ont aussi besoin d’une voix. La désignation des valeurs peut aider les différentes factions à comprendre où elles se rencontrent sur certaines questions7.

L’espace ne nous permet pas de passer en revue le travail profitable de Haidt sur la moralité publique, mais j’encourage les conseils scolaires à prendre en considération l’usage de ce matériel dans leurs séances de formation. Ils pourront ainsi développer un langage commun qu’ils pourront utiliser pour discuter, et même débattre, des valeurs morales identifiées dans les situations scolaires. Je pense que cela fait partie de la vaste formation morale recommandée par Ellen White8. L’entrevue de Haidt avec Bill Moyer9 est particulièrement utile pour favoriser la compréhension de la façon dont une « rectitude » morale rigide peut entraîner la désunion, la séparation, le jugement critique, la colère et, éventuellement, pousser certains à justifier les attaques physiques, le meurtre et la guerre contre autrui.

4. Suivre l’évolution de la matrice morale relationnelle du conseil

Une autre façon d’améliorer la pratique morale d’un conseil est de discuter des attentes morales de base des divers individus ou groupes du conseil d’administration. J’appelle cela « créer une matrice morale ». Cette charte peut être aussi simple qu’un tableau avec le nom de la relation et ce dont elle a besoin, ce dont on attend d’elle, ce qui peut contrevenir à ou détruire la relation, et les moyens de l’améliorer. Glaser recommande trois domaines simples pour chaque situation éthique : individuel, institutionnel et sociétal10. Je recommande une matrice plus complexe pour les professionnels11. (Voir les exemples de matrices).

L’avantage clé de cet exercice est de créer et de discuter sa propre charte. Faire une liste des personnes que le conseil a besoin de servir, trouver ce dont ces individus ont besoin, et discuter avec les membres du conseil de la façon de répondre à ces besoins est une façon de voir les relations comme ayant des revendications morales. Un tel exercice peut guider les conseils scolaires à voir l’empreinte morale qu’ils laissent sur des relations particulières et éviter de généraliser sur tous les groupes de façon à les classer à l’intérieur d’un seul cadre moral homogène. En subdivisant les relations générales en relations spécifiques, on donne un visage aux exigences morales plus générales que chacun doit satisfaire à l'égard d'un conseil d'administration. Établir un lien entre des relations particulières et des attentes et responsabilités morales spécifiques, empêche les membres du conseil de se limiter simplement à un calcul abstrait dans leur rôle moral. Par exemple, les conseils peuvent avoir tendance à se concentrer sur les besoins du corps professoral à l’exclusion des revendications morales des parents, ou inversement. Une partie du leadership moral consiste à trouver un équilibre entre de multiples revendications morales, à vivre avec cette tension et à l'aborder de façon appropriée dans les grands choix moraux.

Je trouve que cela est particulièrement important pour les groupes religieux qui peuvent négliger d’autres êtres humains en se concentrant moralement sur Dieu. Oui, notre relation avec Dieu est première, mais elle n’est pas la seule exigence d’une vie sainte. Jésus a reconnu la tentation des gens religieux de ne pas mettre Dieu au premier plan, mais il a aussi reconnu leur tentation de proclamer la première place à Dieu pour justifier leur traitement immoral des autres. Il a condamné les pharisiens qui se servaient de leur fidélité à Dieu et l’Église comme excuse pour enfreindre les revendications morales familiales :

« Car Dieu a dit : Honore ton père et ta mère, et : Celui qui parle en mal de son père ou de sa mère sera mis à mort. Mais vous, vous dites : « Ce que j’aurais pu te donner pour t’assister est un présent sacré », celui-là n’a plus à honorer son père ou sa mère. Ainsi vous avez annulé la parole de Dieu à cause de votre tradition. » (Matthieu 15.4-6)

Une autre exigence morale que les églises laissent quelques fois de côté est leur relation avec les gouvernements locaux et nationaux. Bien sûr, la loyauté à Jésus et à Dieu et à la famille d’église devrait être centrale, mais la Bible nous rappelle notre responsabilité envers ceux qui gouvernent la société : « Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. » (Matthieu 22.21) Les conseils d’administration devraient encourager le désir de vivre en paix avec les communautés locales et de répondre de manière appropriée aux autorités gouvernementales. (Romains 13) Cela exigera souvent des discussions accompagnées de prières et peut-être même de sacrifices, et les conseils doivent trancher quand une capitulation à une pratique ou une requête locale déroge à d’autres obligations. L’espace nous manque pour offrir des illustrations détaillées dans ce domaine, mais partager l’usage d’un terrain et se soumettre à des règlements locaux sont souvent des démonstrations clé de la bonne volonté d’un conseil de prendre au sérieux les revendications morales de la communauté. Il est clair que les conseils scolaires auront, à un moment ou un autre, à se battre avec une requête des autorités qui puisse violer la loi de Dieu, mais, la plupart du temps, l’appel moral « soyez en paix avec tous » (Romains 12.18) doit être au cœur des prises de décision.

La création d’une matrice morale nous rappellera l’une des caractéristiques uniques du leadership moral divin. Alors que Dieu cherche à recevoir une adoration exclusive, il nous encourage à aimer largement, et pas seulement lui seul. Cette capacité de partager largement l’amour est l’un des ultimes attributs de la Trinité. Le commandement de Jésus « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Marc 12.31) présente deux obligations simultanées : l’amour pour soi et l’amour pour le prochain. En résumé, les conseils qui suivent l’évolution de la matrice morale de leurs responsabilités seront probablement plus aptes à prendre des décisions qui profiteront à leurs communautés. (Voir l’encadré pour des suggestions).

5. Préserver l’individualité, la mutualité et la soumission

Pour faire grandir l’éthique et la moralité, un conseil d’administration a besoin de compétences sociales. En adoptant la croyance que deux esprits, ou plus, valent mieux qu’un, nous accomplirons avec beaucoup plus d’efficacité nos tentatives de partager notre conception morale les uns avec les autres, et d’écouter ce qu’ils ont à dire. Un directeur de conseil peut encourager l’humilité et la soumission mutuelle. Le conseil doit être un conseil qui prie pour arriver au point où chacun considère les autres meilleurs que lui-même. (Voir Philippiens 2.1-4) La soumission est un sujet difficile à aborder dans le langage moderne, mais c’est une attitude et une culture que les directeurs de conseils scolaires doivent promouvoir alors qu’ils interagissent avec leurs conseils. (Voir l’article de Bordes Henry Saturné, page…)

6. Comprendre que de bons processus moraux produisent une meilleure pensée morale et de meilleurs résultats

La pratique de l’individualité, de la mutualité et de la soumission exige que les conseils scolaires mettent en place un processus pour entendre et arbitrer des exigences morales divergentes et parfois concurrentes. Il existe des techniques pour faciliter cette tâche (voir de Cooper, Making Judgments Without Being Judgmental12), mais pour les mettre en pratique, il faut avoir une croyance fondamentale que le jugement peut être bon. Nous sommes un peuple en train d’être jugé (Apocalypse 3. 14-22). Nous, adventistes, devrions donc avoir une appréciation spéciale, du moins théologiquement parlant, de la façon dont un bon jugement axé sur la grâce peut être efficace pour résoudre les conflits, promouvoir la réconciliation, et faire valoir le bien. Dieu nous invite à être comme lui dans l’amour et dans le jugement. Si Dieu peut s’engager dans l’amour et la droiture tout en pratiquant la justice et le jugement – avec humilité et prière, nous le pourrons aussi.

Malheureusement, nombreux sont ceux qui ont créé une séparation erronée entre la grâce et le jugement. Bibliquement et concrètement, cela n’est pas correct. Le jugement peut être rédempteur – par exemple, les bons juges non seulement cherchent à faire respecter la loi mais ils considèrent aussi des façons originales de remettre le contrevenant en conformité avec la loi et à dédommager les victimes. Le fait de subir les conséquences de ses actions peut aider une personne à en voir les conséquences négatives. L’usage d’un langage dur et vindicatif peut détourner le délinquant de cette réalité et l’amener à se concentrer sur les personnalités individuelles. En restant calme, on permet aux gens de rester fixés sur le potentiel d’apprentissage du jugement. J’ai trouvé utile de relire Zacharie 3, Jean 8 et des passages de Luc 15 pour me rappeler comment Dieu traite les coupables lors de leur jugement. Les directeurs de conseils scolaires peuvent faire beaucoup pour créer une telle atmosphère de jugement rédempteur dans les délibérations morales.

7. Pratiquer le courage moral et conduire le changement

Tel que suggéré ici, il y a beaucoup de leadership moral au sein des conseils d'administration. Cependant, les membres des conseils ne devraient jamais sentir qu’ils ont atteint le but dans ce travail moral. Proverbes 4.18 suggère que les humains continueront à changer afin de mûrir moralement : « Le sentier des justes est comme la clarté de la lumière, qui va croissant jusqu’au plein jour. » (NBS) Les conseils peuvent s’attendre à ce qu’une révélation progressive leur soit donnée alors qu’ils se battent avec des problèmes tout en restant enracinés dans un apprentissage biblique et historique. Une telle conception progressive est fondamentale à l’adventisme (voir le préambule des 28 Croyances fondamentales14, et pour poursuivre la discussion, voir l’analyse de ce préambule par Jon Paulien15). Les conseils peuvent même jouer un rôle en appliquant une forme progressive de sagesse morale pour produire des écoles pleines d’énergie et en croissance. Une telle forme de sagesse est évidente dans l’ensemble des Écritures et fait partie de l’héritage de notre Église (voir de Roy Gane, Old Testament Law for Christians : Original Context and Enduring Application sur les façons dont les lois bibliques et historiques interagissent avec la croissance morale et la sagesse morale16).

Conclusion

Les conseils d’administration scolaires peuvent être des agents moraux compétents et efficaces de changement et jouer un grand rôle dans la création d’écoles justes et bienveillantes. Cet article discutait de quelques moyens d’accroître leur compétence et leur leadership moral. Quand cela est fait correctement, les conseils peuvent aider à promouvoir une forte culture chrétienne où les gens comprennent, apprécient et appliquent les idéaux moraux et les principes bibliques. Ils peuvent réaliser le rêve de Christ de créer un lieu où sa lumière est reflétée par ses disciples qui sont comme une ville placée sur une colline et que l’on voit de loin (Matthieu 5.14) – ce qui amène les gens à glorifier Dieu. Les écoles peuvent revitaliser des communautés alors qu’elles engendrent l’authenticité, la transparence et l’intégrité.

Des conseils mal gérés peuvent produire l’un ou l’autre extrême : un désert sec où la rigidité morale étouffe l’amour, la créativité, les sensibilités humaines et la croissance, ou bien un lieu où le relativisme produit le cancer du chaos moral, des attentes floues et des pratiques dangereuses. Mais, comme Hébreux 6.9 nous le rappelle : « quelque chose de meilleur vous attend » et les conseils bien dirigés peuvent devenir les agents moraux qu’ils doivent être pour aider à soutenir et développer leurs écoles.


Cet article a été revu par des pairs.

Duane Covrig

Duane Covrig, P.D., est professeur de leadership et d'éthique et directeur du département de leadership de la School of Education de l'Université Andrews, Berrien Springs, Michigan (États-Unis). M. Covrig est titulaire d'une licence du Weimar College (Weimar, Californie), d'une maîtrise de la Loma Linda University (Loma Linda, Californie) et d'un doctorat de l'University of California (Riverside). Il a enseigné dans les domaines du leadership et de l'administration ainsi que de la religion et de l'éthique dans des universités en Californie et dans le Midwest des États-Unis, et a publié des articles sur l'éthique et la recherche organisationnelle. D. Covrig fait actuellement des recherches sur la vision adventiste de l'expiation et du jugement pour développer une éthique chrétienne. Il travaille sur un site internet pour les éthiciens adventistes (www.adventistethics.com) et continue à écrire sur le leadership éducatif et moral.

Référence recommandée :

Duane Covrig, Le rôle moral des conseils scolaires, Revue d’éducation adventiste, Disponible à https://www.journalofadventisteducation.org/fr/2019.81.1.8.

NOTES ET RÉFÉRENCES

  1. Ellen G. White, Christian Education (Battle Creek, Mich.: International Tract Society, 1894), 210.
  2. Le modèle par étapes de James Rest est bien évalué par Wikipedia et bien d'autres sites sur le Web. Darcia Narvaez (veuve de James Rest) a conçu d'excellents livres de la maternelle à la 12e année. Voir aussi https://www.amazon.com/s/ref=nb_sb_noss?url=search-alias%3Dstripbooks&field-keywords=EthEx+. Cet article sur les soins infirmiers passe bien en revue les quatre étapes dans un contexte professionnel de prise de décision. Voir aussi James R. Rest et coll., Postconventional Moral Thinking: A Neo-Kohlbergian Approach (Mahwah, N.J.: Erlbaum, 1999) et James R. Rest et Darcia Narvaez, Moral Development in the Professions: Psychology and Applied Ethics (Hillsdale, N.J.: Lawrence Erlbaum, 1994).
  3. Terry D. Cooper, Making Judgments Without Being Judgmental: Nurturing a Clear Mind and a Generous Heart (Westmont, Ill.; InterVarsity Press, 2009), 1. Ce livre est très utile pour encourager les leaders et les groupes à prendre des décisions difficiles sans porter de jugement.
  4. Remarques du juge en chef américain John Roberts à la faculté de droit de l'université du Minnesota (octobre 2018): https://www.c-span.org/video/?c4755741/chief-justice-roberts-remarks-university-minnesota-law-school.
  5. 1 Corinthiens 6.3. Tous les textes cités sont tirés de la Nouvelle Bible Segond, NBS, 2002.
  6. Jonathan Haidt, The Righteous Mind: Why Good People Are Divided by Politics and Religion (New York: Vintage, 2013), ou visiter le site https://www.moralfoundations.org/. Righteous Mind de Haidt est une lecture difficile mais utile pour aider les conseils à comprendre la diversité morale et le débat dans la société et dans nos propres églises. Je pense qu'il diagnostique avec exactitude les tensions morales qui créent des conflits dans nos collectivités. Sa discussion avec Bill Moyer sur les tensions américaines pourrait aider les conseils qui sont moralement divisés et qui ont besoin de réconciliation (voir note 8).
  7. Ces valeurs sont données à titre d'exemple et l'attribution à un groupe spécifique n'indique pas qu'elles ne sont pas appréciées par l'autre groupe
  8. Ellen G. White, Christian Education, 210.
  9. L’entrevue de Bill Moyer avec Jonathan Haidt, “Jonathan Haidt Explains Our Contentious Culture” (2012): https://vimeo.com/36128360 .
  10. John W. Glaser, Three Realms of Ethics (Kansas City, Mo.: Sheed and Ward, 1994).
  11. 11. Duane M. Covrig, “Professional Relations: The Multiple Communities for Reform and Renewal,” Professional Ethics 8:3, 4 (Fall/Winter 2000), 19-56.
  12. Cooper, Making Judgments Without Being Judgmental: Nurturing a Clear Mind and a Generous Heart.
  13. Proverbes 4.18.
  14. General Conference of Seventh-day Adventists Ministerial Department, Seventh-day Adventists Believe, 2e éd. (Nampa, Idaho: Pacific Press, 2018), préambule.
  15. Jon Paulien, “On the Preamble to the Seventh-day Adventist Fundamental Beliefs,” The Battle of Armageddon Blog (2016): http://revelation-armageddon.com/2016/06/on-the-preamble-to-the-sda-fundamental-beliefs/.
  16. Roy E. Gane, Old Testament Law for Christians: Original Context and Enduring Application (Ada, Mich.: Baker Academic, 2017).